A l’heure actuelle, on considère le plus souvent que la mémoire est un ensemble de systèmes indépendants, mais en étroite interaction avec cinq systèmes de mémoire principaux : la mémoire à court terme et quatre systèmes de mémoire à long terme : système de représentation perceptive, mémoire procédurale, mémoire sémantique et mémoire épisodique.
La mémoire de travail est un système de stockage à capacité limitée qui maintient actives les informations le temps nécessaire à leur exploitation lors de tâches cognitives variées. C’est un processus mis en œuvre dans le maintien, la manipulation, la coordination et la mise à jour à court terme de l’information (exemple classique, composer un numéro de téléphone après l’avoir lu une fois).
La mémoire à long terme dispose de capacités illimitées de stockage pour une durée elle aussi potentiellement infinie. Elle contient les informations accumulées sur de longues périodes qui se rapportent aux connaissances que nous avons sur nous-mêmes et sur le monde qui nous entoure (images, mots, concepts, associations entre concepts, classifications entre objets, stratégies, procédures etc.) ainsi qu’aux savoirs faire acquis de manière durable. La structuration progressive des souvenirs se produit grâce aux répétitions, aux réactivations lors d’expériences ultérieures et à l’utilisation plus ou moins fréquente des informations qui peuvent être présentées selon une modalité auditivo-verbale ou visuelle. Les associations aux goûts, odeurs et autres ne sont pas à négliger, mais restent très peu étudiées.
La mémoire de travail est celle que nous utilisons en permanence. Les informations ne durent dans notre tête que 2 secondes puis s’effacent. C’est assez pour réaliser une tâche rapidement comme noter quelque chose, repérer la place ou disposition d’objets, ect. Le modèle présenté plus bas est composé de trois éléments principaux: le système de contrôle attentionnel ou administrateur central chargé notamment du contrôle et de la manipulation de l’information stockée. Il supervise et coordonne deux systèmes «esclaves» et gère le passage des informations entre ces sous-systèmes. La boucle phonologique est spécialisée dans le stockage temporaire d’informations verbales et le registre visuo-spatial est spécialisé dans le traitement et le maintien temporaire d’informations visuo-spatiales. (Baddeley, 1986)
Les enfants présentant un trouble sélectif de la boucle phonologique sont très rares en neuropsychologie alors que ces mêmes déficits sont en réalité très fréquents en association avec d’autres troubles, tels que les troubles spécifiques du développement du langage par exemple.
La boucle phonologique est constituée d’un stock phonologique et d’un processus de récapitulation articulatoire. Le stock phonologique reçoit directement et obligatoirement l’information verbale présentée auditivement et la stocke sous forme de code phonologique. L’information est maintenue dans le stock phonologique pendant seulement 1,5 à 2 secondes (*1). Cependant, selon Baddelay et al. (1975), le mécanisme de récapitulation articulatoire permet de rafraîchir l’info en la réintroduisant dans le stock phonologique. Il permet également le transfert de l’information verbale présentée visuellement (lue) vers le système de stockage phonologique.
(*1) Ayres, J. A. (2005). Sensory Integration and the Child (2e ed.). Los Angeles: Western Psychological Services.
Un déficit de la boucle phonologique ne signifie pas nécessairement une réduction des performances dans l’ensemble des tâches d’empan. Il est donc conseillé d’administrer plusieurs tâches faisant varier le statut linguistique des items utilisés.
Les deux listes doivent être appariées au niveau de la fréquence lexicale et du degré d’imagerie (voir Batterie Côte de neige, 1992).
L’absence de ces effets ne signifie pas nécessairement la présence d’un déficit, principalement l’effet de longueur. En effet, le mécanisme qui sous-tend l’effet de longueur (la récapitulation articulatoire) relève probablement plus d’un choix stratégique que d’un processus très automatique et volontaire. L’effet de similarité phonologique est plus fiable (enfant au-dessus de 7 ans).
Conseil : répéter la tâche plusieurs fois afin de déterminer si l’absence de ces effets est consistante avec une performance quantitative significativement inférieure à la moyenne.
Pour une version française de ce type de tâche, voir Barrouillet et Camos (2001).
Tableau récapitulatif :
3 ans | 4 ans | 5 ans | 6 ans | 7 ans | 8 ans | 9 ans | 10 ans | 11 ans | 12 ans | 13 ans | 14 ans | 15 ans | 16 ans | 17 ans | 18 ans | |
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Boucle Phonologique | ||||||||||||||||
Répétition de phrases (NEPSY) | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | ||||||
Répétition de pseudo-mots (NEPSY) | X | X | X | X | X | X | X | X | ||||||||
Empan de chiffres en ordre direct (WISC/CMS) | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | ||||
Registre visuo-spatial | ||||||||||||||||
Localisation de points (CMS) | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | ||||
Block tapping test | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | |||
Associated pairs (LEITER_R) | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X |
Forward memory (LEITER_R) | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X |
Spatial memory (LEITER-R) | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X |
Administrateur central auditif | ||||||||||||||||
Séquences lettres-chiffres (WISC-IV) | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | |||||
Empan de chiffres en ordre inverse (WISC-IV/CMS) | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | ||||
Administrateur central visuel | ||||||||||||||||
Reverse memory (LEITER_R) | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X |
Si on veut établir un lien entre toutes les formes de mémoire, on obtient la représentation graphique suivante (d’après Eustache et Desgranges, 2003),
Dans cette représentation graphique, on a la Mémoire de Travail avec d’une part les composantes du modèle de Baddeley (administrateur central, boucle phonologique et calepin visuo-spatial) et, d’autre part, le buffer épisodique qui renvoie à la notion de conscience de soi. Les capacités générales du fonctionnement cognitif sont liées au développement de cette composante qui permet le stockage et le traitement de l’information utile à la réalisation de chaque traitement cognitif. La mémoire procédurale avec une hiérarchie allant du support d’habiletés motrices et perceptivo-motrices à celui d’habiletés perceptivo-cognitives et cognitives. Les interactions avec les systèmes de représentation (y compris la Mémoire de Travail) sont particulièrement importantes lors de la phase d’apprentissage procédural. Les liens se distendent ensuite au cours du processus d’automatisation.
La mémoire implicite, ou encore non déclarative, renvoie au souvenir inconscient d’informations sans qu’il soit nécessaire de se référer au contexte d’apprentissage. On y inclut la mémoire procédurale ainsi que l’apprentissage émotionnel (Soprano, 2009). Les effets de mémoire implicite seraient caractérisés par leur robustesse.
La mémoire explicite, ou encore déclarative, renvoie quant à elle aux situations dans lesquelles une personne met en jeu volontairement différentes stratégies permettant de se souvenir consciemment d’épisodes spécifiques en tenant compte du contexte d’apprentissage. Le savoir relevant de ce système explicite peut être ramené verbalement à la conscience, sous forme de propositions, ou non verbalement, sous forme d’images (Soprano, 2009).
Pour résumer
Mémoire à long terme | |
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Mémoire épisodique | Souvenirs d’événements personnellement vécus (lieu des dernières vacances, menu du repas de la veille…). |
Mémoire sémantique | Connaissances générales sur le monde (sens des mots, concepts, connaissances scolaires ...) |
Mémoire procédurale | Procédures d’actions automatisées et difficilement verbalisables (habiletés perceptivo-motrices et cognitives (rouler à vélo, jouer du piano, conduire une auto, dactylographier…). |
Systèmes de représentation perceptive | Stockage de la représentation structurale (de la forme) des mots, objets, visages, etc. |
Sur base du modèle de Tulving, nous définissons les différents systèmes de mémoire :
Le système de mémoire procédurale est impliqué dans l’apprentissage d’habiletés perceptivo-motrices et cognitives ainsi que dans le conditionnement et les sensations. Il n’existe pratiquement pas d’activité dans lesquelles la mémoire procédurale n’intervient pas d’une manière ou d’une autre (Meulemans, 2007-2008). Il s’agit d’un système très fiable dans lequel les connaissances s’acquièrent de façon lente mais progressive jusqu’à être automatiques. Elles ne s’expriment pratiquement que par l’action (ex : rouler à vélo, nager, utiliser un appareil ménager, conduire une voiture…), ne peuvent pas être facilement racontées et ne requièrent qu’un accès partiel à la conscience. Selon le modèle SPI de Tulving, la mémoire procédurale constitue le plus ancien et le plus important système de mémoire ; son intégrité est nécessaire au fonctionnement des suivants. Elle joue un rôle important dans l’ensemble de la mise en œuvre des procédures cognitives, reposant sur des mécanismes associatifs complexes entre la sensorialité et l’ensemble des savoirs et savoir-faire mémorisés (Mazeau, 1999).
La mémoire sémantique rassemble les connaissances verbales que nous avons acquises sur le monde qui nous entoure, qu’il s’agisse de la signification de mots, de dates, de faits, d’événements ou de concepts (Robertson, 2006), indépendamment de notre expérience personnelle. Un grand nombre de ces connaissances sont apprises et transmises culturellement dès la prime enfance et/ou par le biais de la scolarité (Mazeau, 1999). Ces informations sont indépendantes du contexte dans lequel elles ont été acquises (Van Der Linden, 2009), c’est-à-dire que la récupération de ces informations en mémoire sémantique ne requiert pas de référence au moment ou à l’endroit de leur acquisition (Robertson, 2006).
La mémoire épisodique se réfère au souvenir des événements ou épisodes personnellement vécus, récents ou plus anciens, en les restituant dans leur contexte spatio-temporel d’apprentissage.
En effet, cette connaissance renvoie non seulement à ce qui s’est passé (fait, événement), mais aussi « où » et « quand » cela s’est passé (contexte) (Catale, Closset et Majerus, 2007), et « comment » ce souvenir a été acquis. Les nouvelles informations sont reliées à soi et à l’environnement et les souvenirs sont organisés en fonction de leurs relations temporelles et contextuelles avec d’autres événements (Baddeley, 1992, in Nollin, 2004).
Systèmes | Types | Sous-types | Exemple | Utilité | Tests |
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Episodique | Mémoire rétrograde autobiographique | Sémantique personnelle | J’ai fait des études à. J’habitais à. | Elle sert à se remémorer des faits passés | AMI, Kopelman & al. 1989(à partir de 6 ans) |
Episodique pure | En 2000, j’ai acheté un ordinateur | TEMPau de Piolino & al., 2000 (de 0 à 17 ans) | |||
Mémoire antérograde |
Association visuo-verbale Stockage/encodage/récupération Aspects exécutifs |
On ne peut se souvenir de nouvelles informations apprises | RL/RI de 16 items (BNE)Test d’apprentissage de Caifornie | ||
Sémantique | Catégorisation sémantique | Je sais qu’une pomme et une banane sont des fruits |
Fluences verbales de la NEPSY II Appariements d’images sur entrée verbale ou entrée visuelle (mots-dessins) |
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Association visuo-verbale | Le son « meuh » évoque la vache | Appariements de mots ou d’images de la même catégorie | KABC II | ||
Stockage et Récupération | Je sais que le mot écrit scie, la scie et le dessin d’une dessin sont du même registre des outils | Appariements mots - définitions, images -dénomination | Dénomination DRA enfants, test de dénomination rapide de Piaza & Robert-Jahier | ||
Procédural | Apprentissage de procédures | Habiletés motrices | Je sais rouler à vélo | Examen clinique | Rouler à vélo |
L’évaluation dans ce domaine sert à situer un déficit mnésique, à situer dans quel système il se trouve et quels sont les processus touchés. Plus généralement encore, il s’agit de savoir si ces troubles mnésiques s’inscrivent dans une atteinte plus vaste.
Un des outils principaux d’évaluation de la mémoire chez les enfants de cinq à seize ans est l’Echelle de Mémoire pour enfants (Children Memory Scale : CMS) de Cohen (2001). Cette batterie permet de mesurer autant l’aspect quantitatif (performances) que qualitatif (processus) de la mémoire, en particulier chez les enfants présentant des difficultés neuro-développementales (attention, langage ou troubles neurologiques), à partir de diverses tâches pertinentes. Elle comporte des épreuves de mémoire sur matériel verbal (rappel immédiat et différé de récits ; apprentissage de paires de mots en trois essais suivi, après un délai, de tâches de rappel et de reconnaissance ; apprentissage d’une liste de mots avec liste interférente suivi d’un rappel différé et d’une condition en reconnaissance) et des tâches mnésiques sur matériel visuo-spatial (mémorisation de la localisation de points sur une grille, en trois essais avec rappel différé ; reconnaissance immédiate et différée de visages non familiers, rappel immédiat et différé de scènes de famille (personnages, positions et actions).
Le Bilan Neuropsychologique de l’Enfant (NEPSY) de Korkman, Kirk & Kemp (2003) a été conçu pour évaluer le développement neuropsychologique d’enfant d’âge préscolaire et scolaire (5 à 12 ans), en particulier lorsqu’ils présentent des troubles d’apprentissage : dyslexie, troubles attentionnels, difficultés de langage, difficultés grapho-motrices et autres problèmes d’apprentissage. Cette batterie est composée d’un ensemble de subtests relevant de cinq domaines : attention et fonctions exécutives, langage, fonctions sensori-motrices, traitements visuo-spatiaux ainsi que mémoire et apprentissage.
La Batterie d’Efficience Mnésique (BEM 144) de Signoret (1991) est aussi destinée aux enfants entre 6 ans 6 mois et 14 ans 6 mois. Elle comporte 12 subtests verbaux et visuels : rappel immédiat puis différé d’une histoire et de figures géométriques complexes, rappel immédiat puis différé d’une liste de 12 mots, reconnaissance différée à choix forcé de phrases et de figures, apprentissage associatif de paires de mots et de figures.
L’Epreuve des 15 mots de Rey (1964) est encore parfois utilisée mais les normes disponibles sont très anciennes.
Il existe également une adaptation française du Rivermead Behavioral Memory Test (RBMT) de Wilson et al. (1985) par Wilson, Ivani-Chalian et Aldrich (1991). Cette version explore le fonctionnement de la mémoire dans la vie quotidienne des enfants de 5 à 10 ans. Les items présentés impliquent de se souvenir d’entreprendre certaines tâches (mémoire prospective) ou de retenir une information pour un rappel immédiat ou différé: rappel d’un nom, rappel d’un objet caché, rappel d’un rendez-vous, rappel d’une histoire, rappel d’un court trajet, rappel d’une image, reconnaissance de visages et questions d’orientation (qui es-tu ?, quel jour/mois/année sommes-nous, comment s’appelle ton instituteur ? etc.). Le RBMT enfants a principalement un intérêt diagnostique mais ne permet pas réellement de formuler une hypothèse quant à la nature du trouble.
Le California Verbal Learning Test-Children (CVLT-C) de Delis, Kramer, Kaplen et Ober (1994) permet une évaluation qualitative et quantitative plus spécifique du fonctionnement mnésique de l’enfant en référence à des normes par âge. Cette épreuve est sensible aux déficits mnésiques associés à un alcoolisme fœtal, un trauma crânien, l’autisme, un trouble de l’attention et des déficiences du langage. Dans cette épreuve, l’enfant doit tout d’abord mémoriser, en cinq essais, une liste de 15 mots répartis en 3 catégories sémantiques (liste A). Par la suite, l’enfant doit apprendre une seconde liste de 15 mots en un seul essai (liste B). Il est alors soumis à des tâches de rappel libre et indicé de la liste A (délai bref). Après un délai de 20 minutes, l’enfant doit à nouveau procéder à un rappel libre puis un rappel indicé de la liste A (délai long). Enfin, lors d’une tâche de reconnaissance oui/non, il doit reconnaître les items de la liste A parmi des distracteurs (proches sémantiques, proches phonologiques, mots de la liste B et disrtacteurs neutres). Aucune indication n’est fournie à l’enfant lors de l’encodage ce qui permet d’observer sa performance spontanée (indice de regroupement sémantique). La présentation de la liste B permet de mesurer la sensibilité à l’interférence proactive_. Lorsque l’enfant doit rappeler à nouveau un maximum de mots de la liste A, l’interférence rétroactive_ peut être estimée. Le rappel indicé donnera une indication sur l’efficacité d’une aide au rappel.
Les auteurs de ce test ont suggéré que quelques indices à base de processus du CVLT-C touchent à l’application de stratégies organisationnelles actives (par ex. regroupement sémantique), tandis que d’autres touchent aux erreurs dans le self-monitoring (par ex. les persévérations). Or, ces fonctions cognitives sont typiquement englobées sous le terme général de fonctionnement exécutif. Cela a amené cliniciens et chercheurs à suggérer que des indices relevés dans le CVLT-C, particulièrement le degré regroupement sémantique en rappel, peuvent être les indicateurs de fonctions exécutives (Beebe et al. , 2000).
http://www.chups.jussieu.fr/polys/dus/duneuropsycho/explorationmemoire2007.pdf